Le traffic du bois de rose malgache

Octobre 2009, dans le parc de Masoala, région de Sava, au nord-est de Madagascar. Des équipes de la Task Force, une délégation de l'armée mise en place depuis septembre par le nouveau ministre de l'environnement Calixte Randriamiandrisoa, sont envoyées sur place depuis la capitale Antananarive pour prouver leur volonté de lutter contre le traffic du bois de rose. Dans la presqu'île, les uniformes de l'armée ont malheureusement tendance à se fondre dans le paysage local...

Depuis les événenements du debut d'année qui ont secoués l'Ile, le gouvernement avait perdu tout contrôle des richesses naturelles des Parcs Nationaux et les réserves.
“Madagascar et Masoala sont sur le point de perdre leur patrimoine unique de richesses naturelles. Il ne restera bientôt que forêts apauvries, érosion et pauvreté. Les seuls a en profiter sont les barons du bois de rose et leur alliés qui organisent le pillage actuel des trésors de la forêt humide” alertait en août, Alex.RUBEL directeur du Zoo de Zurick, partenaire de l'association locale Wildife Conservation Society qui milite pour la sauvegarde des espèces protégés et le tourisme durable.
Rentré au Patrimoine de l'Unesco en 2007, le Parc National de Masoala est pourtant pillé sans vergogne. Ses forêts font partie des plus diversifiées de l'océan indien et sont de véritables laboratoires pour la recherche scientifique. Les reliefs escarpés abritent une diversité exceptionnelle de plantes, d’animaux et de bois précieux.
Classé par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) dans la catégorie des espèces en voie de disparition, le bois de rose est à protéger absolument. Sa régénération est quasi nulle et, à la différence de la Guyane, il n'y a pas de politique de replantation. De plus, la forêt et le parc étant de plus en plus réduits (le “tavy” ou agriculture sur brûlis est très pratiqué dans la région), les cyclones s'y engouffrent davantage, provoquant des dégats toujours plus importants. Clément “Radar”, ancien météorologue travaillant aujourd'hui pour l' ong CARE évoque une chute considérable des précipitations depuis vingt ans dans la région: “ De 300 jours de pluie par an en 1980, nous sommes aujourd'hui passés à 120 jours. Les températures moyennes ont aussi augmenté de quatre degrés. Tout celà a bien sûr eu un impact sur l'agriculture, les vieux comme les jeunes d'ailleurs ne maîtrisent aujourd'hui plus le calendrier cultural”.
Très prisé dans la fabrication de mobiliers et divers objets, le bois de rose se distingue surtout des autres bois pour son parfum et ses vertues aromathérapiques. La production d'huile essentielle est particulièrement rentable, un litre d'huile étant obtenu avec 100 kilos de bois de rose, les 10 ml coûtant actuellement 11 euros. Les rondins de bois de rose pesant entre 100 et 250 kgs sont exportés jusqu’à 11 dollars Us ( 8,50 euros) le kilo par la mafia locale à destination de l' étranger, d'où la Chine ressort comme la principale destination.

Malgré les restrictions du gouvernement malgache qui autorise uniquement la collecte de troncs déracinés par les cyclones, début octobre 2009, 325 conteneurs, contenant chacun 24000 pièces, sont parties officiellement du Port de Tamatave.en direction de la Chine. Les mesures prises par le gouvernement pour enrayer la coupe illicite du bois de rose font face à un acheminement qui parait très bien organisé......... avec des conséquences écologiques et humaine désastreuses.

Traffic illicite autorisé?

Sous le régime de Didier Ratsiraka, l’exploitation du « bois précieux » fut suspendue, officiellement pour permettre à l’État d’assainir la filière.
En 2004, suite aux deux cyclones Elita et Gafilo, éprouvant fortement la population mais également la faune et la flore, notamment dans la région Sava, le régime de Marc Ravalomanana promulgue un arrêté ministériel (n°17939/2004, du 21 septembre 2004) autorisant quelques opérateurs économiques du secteur à collecter, commercialiser et exporter le bois arraché lors de ces cataclysmes. Cette autorisation pris fin, officiellement le 30 mars 2005, mais elle corresponda à une montée en flèche du prix du bois de rose sur le marché chinois. L'ébène et le palissandre jusqu'alors recherchés furent quasiment abandonnés. Des permis d’exploitation sont depuis délivrés, en nombre limité, et grâce à divers arrangements, à des opérateurs économiques locaux, dont une majorité de métis chinois originaires de Canton, arrivés dans la région dans les années 60. A l'indépendance du pays, nombre de français, dont les riches propriétaires de vanille ont du quitter le pays et leur ont vendu leurs entreprises familliales. La région de SAVA demeure ainsi la plus productrice de vanille de Madagascar, malgré une instabilité croissante de son cours sur le marché mondial. Le bois de rose a donc été une aubaine pour ces exportateurs.
Récemment, le très critiqué arrêté interministériel du 21 septembre 2009 a donné l'autorisation d'exportation de bois précieux à 13 opérateurs, chacun avec un quota officiel maximal de 25 conteneurs. “Dans la réalité, le commerce est beaucoup plus libre car les exportateurs n'ont qu'à s'affranchir des 72 millions d'Ariary (25000 euros) par conteneur, dont 12 millions sont officiellement destinés à lutter contre la dégradation de l'environnement et des forêts. Sur l'ensemble des conteneurs du port de Vohémar, 95% sont destinés à l'exportation du bois de rose” précise le responsable des douanes de Vohémar. Début octobre , 325 conteneurs sont embarqués à destination de la Chine. Les associations “Global Witness” et la Plate-forme des associations civiles de protection de l'environnement demandent alors la suspension de l'arrêté, en vain. “N'achetez pas du bois de rose volé” écrivaient-elles dans des encarts de journaux nationnaux. Sur le terrain, peu de campagnes de sensibilisation furent menées. L'ANGAP, devenu le Madagascar National Park, par le biais de ses agents, effectuant des relevés GPS de rondins observés mais sans avoir la possibilité d'intervenir, tandis que les eaux et forêts saisissaient une quantité infime de rondins à Antalaha et à Vohémar, quand ces derniers n'étaient pas revendus...
L'arrêté devait officiellement prendre fin le 30 novembre et tous les stocks du pays être saisis par l'Etat. La fièvre semble trop forte pour s'arrêter de si tôt.
Tout un réseau impliqué en chaine.
L'instabilité économique du pays, la baisse du tourisme dans cette région de Madagascar, l'augmentaion de la délinquance sont profitables aux dévelopement du traffic du bois de rose. “Près de 3000 personnes se trouveraient actuellement illégalement dans le parc national” affirmait en septembre le Zoo de Zurich. Et d'après une récente étude ménée par le Word Wild Fund( WWF) dans la région de Sava, on assiste à une surexploitation de la misère de la population malgache. Les bûcherons et les piroguiers percoivent 10000 ariary ( 3,5) par jour pour transporter les “ bolabola”, les troncs de bois de rose des profondeurs de la fôret jusqu'aux embouchures des fleuves. Ce travail d'acheminement se faisant souvent dans des conditions inhumaines, des accidents meurtriers sont à déplorer régulièrement. Les jeunes des villages sont de moins en moins nombreux à travailler dans le bois précieux. D'un discours ou ils considéraient qu'ils pouvaient tout faire sur la terre appartenant à leurs ancêtres, ils sont aujourd'hui plus mesurés sur les risques d'un tel pillage. A l'inverse de ceux venant des régions autour, qui ne tirent qu'un plaisir immédiat de cet argent en allant se sâouler et se payer des prostituées le soir venu.
De nombreux intermédiaires interviennent ensuite pour acheminer par route ou par fleuve le bois de rose jusqu'au Port de Vohémar, avant que la marchandise ne parte pour la Chine. Les agents de contrôle comme les inspecteurs, les douaniers, la police, la gendarmerie semblent baisser les yeux devant le traffic et n’agissent pas au moment de l’abattage, de l’entreposage et de la mise en containeur. Entre Antalaha et Vohémar, il existe pas moins de 7 barrages économiques de contrôle. L'ancien ministre de l'environnement a été limogé suite à une affaire de bois, mais selon les déclarations du nouveau ministre, un véritable réseau mafieux s'est formé autour de cette filière. Des douaniers, des politiciens, des membres de la société civiles, des chefs de villages, des responsables portuaires , des représentants du gouvernement....sont en relation avec les trafiquants de bois précieux. La task Force aurait même déterré 32 rondins de bois de rose dans la cour de la société TIKO, entreprise de l'ancien président Ravalomanana, c'est dire l'ampleur du traffic. Mais pour beaucoup la task force serait juste une façade pour apaiser l'opinion publique et les instances internationales.
Conclusion. Certes la coupe de bois semble se réduire, mais d'importantes quantités de bois stocké demeurent un peu partout sur la presqu'île. Dans une situation politique qui n'évolue guère,et qui laisse sur le carreau un nombre croissant de malgaches, l'annonce de la saisie par l'Etat de l'ensemble des rondins ressemble à une utopie. Une réelle économie s'est construite autour du bois de rose et il semble difficile aujourd'hui de revenir en arrière, qui plus est à la veille de la saison cyclonique faisant des dégats croissants sur la presqu'île, et créant la confusion chez les organismes de contôle. Se réduisant d'années en années, le parc de Masoala fait toujours partie de la forêt primaire tropicale humide, recelant une faune et une flore toujours riche. Une fois le bois de rose disparu, et une partie du tourisme avec, vers quel commerce juteux se tournera la mafia locale, autorisant, par l'épuisement des richesses du sol malgache, une fuite toujours plus importante du capital financier local.
Octobre 2009.