Les refoulés de l'Europe. 2007.

CEUTA ET MELILLA : enclaves espagnoles séparées par le territoire marocain par deux grillages en fil barbelé.
Depuis des années, ces territoires sont devenus des voies de passages vers l’Europe pour des milliers de migrants africains.
Amassées à une dizaine de kilomètres de la frontière, dans la forêt de Gourougou, dans le “ghetto ” comme ils l’appellent, des centaines de personnes venues de toute l’Afrique attendent le moment propice pour franchir le grillage. Les patrouilles marocaines et espagnoles guettent. Eviter les miradors, les caméras et les détecteurs infra rouge est devenu de plus en plus difficile. Alors le ghetto s’organise, et en ce soir du 5 octobre 2005, pour la troisième fois de la semaine, il est prévu une attaque massive. A 0h00 précise, plus de 1000 personnes s’élanceront à l’assaut du grillage. A l’aide d’échelles, il faudra d’abord escalader le premier barbelé de six mètres de haut puis, quatre mètres plus loin, le second. Entre les deux, la garda civile espagnole. Cette nuit là sera un véritable massacre : Des centaines de personnes passées à tabac, arrêtées, puis expulsées illégalement dans des conditions inhumaines. Officiellement 13 morts. Déjà sur place, les médias espagnols couvriront l’actualité.
En réponse, l’Union européenne envoie au Maroc une enveloppe de 10 millions d’euros pour renforcer les frontières.

Un an après, pour “fêter ” ce triste anniversaire, Amnesty International rappelle les graves violations aux droits humains et aux droits internationaux (1) et dénonce l’absence de condamnations des autorités espagnoles et marocaines pour ces faits et leurs comportements.
Au même moment, Mathurin, un ivoirien de 32 ans, présent lors des évènements, arrive à Bamako. Tabassé, arrêté par la garda civile espagnole puis dépouillé et refoulé en plein désert par la police marocaine, avec en guise de nourriture une miche de pain et trois litres d’eau, il passera dix mois dans un camp de réfugiés à la frontière mauritanienne avant de rallier la capitale du Mali.
En France, les candidats à la présidentielle lancent leur campagne électorale et Nicolas Sarkozy confirme la lutte contre l’immigration. Il avait déjà donné le ton en mai dernier en présentant son programme sur l’ “ immigration choisie ” dont le projet de loi sera  voté par le parlement, en durcissant les règles d’entrée et de séjour des étrangers en France. Sa venue à Bamako avait d’ailleurs provoqué un taulé , plusieurs associations maliennes appelant à une mobilisation et organisant une marche contre son arrivée au Mali.
De son coté, l’Union Européenne intensifie la coopération avec les pays nord africains. La Libye et le Maroc, conscients du problème que représente l’immigration clandestine, jouent cette carte comme joker dans les relations bilatérales.
2006 fut la pire des années : 1582 victimes contre 822 en 2005 et 564 en 2004 (2). Pourtant, et même s’ils en connaissent les risques, les candidats à l’immigration sont toujours aussi nombreux. Coincés entre deux sujets télévisés, les naufrages et ses morts deviennent des faits divers comme les autres.
Dans ce contexte, donner la parole à ceux qui s’appellent “les Refoulés de Ceuta et Melilla” est important. Ces hommes et ces femmes qui ont connu l’horreur en vivant dans des conditions que peu pourraient supporter sont aujourd’hui marginalisés, rejetés de leur famille et de la société africaine. Quel regard portent-ils sur l’immigration et aujourd’hui quoi faire, partir de nouveau ou rester ?
Voici donc huit portraits de clandestins, retrouvés à Bamako, point névralgique pour les candidats à l’exil, huit histoires bouleversantes d’individus qui ne sont pas nés du bon coté du monde et qui rêvaient simplement de venir en Europe pour fuir la pauvreté ou la guerre et se donner la chance d’un avenir meilleur.

(1) cf “ Espagne et Maroc : un an après, les droits des migrants sont toujours en danger ”, Amnesty International, octobre 2006
2)d’après l‘observatoire des victimes de l’immigration clandestine, février 2007.

Emmanuel Blivet 2007.