Une jeunesse roumaine

1989, Bucarest, la Révolution éclate, Ceauscescu est assassiné et on découvre en France, à travers de nombreux reportages, l’atrocité de ces années de dictature et de communisme. Le pays est pauvre, les images des orphelinats et des enfants sniffeurs de colle choque l’opinion publique. Les ravages psychologiques sont énormes mais l’espoir renaît. C’est l’heure du changement. Depuis, le pays a connu de grandes mutations. La fin du régime communisme, de la sécuritate et de l’uniformité ont laissé place au capitalisme libéral, à la libre expression et à la corruption. Et même si certains regrettent les années Ceauscescu, ce passé douloureux est bien loin de la jeunesse roumaine, plus pragmatique et d’avantage matérialiste que ses aînés.

En France, nous restons figés sur certains clichés : les roumains sont encore considérés comme les pauvres de l’est trop souvent associés à l’image négative des mendiants, arrivés depuis quelques années à Paris. Pourtant, depuis le 1er janvier 2007, la Roumanie fait partie de l’Union Européenne.
A travers ce reportage, j’ai voulu faire un portrait de la jeunesse roumaine de 20 à 30 ans dans son environnement quotidien, à l’orée de son entrée dans la CEE.

Peu souvent sollicitée, peu investie dans les questions politiques ou dans le milieu associatif, elle est, avec 20 % de la population totale, la force vive de la future Roumanie. Qui sont ces jeunes, quelles sont leurs envies, leurs rêves, leurs préoccupations ?
Un constat parfois inquiétant sur une jeunesse qui a connu 2 systèmes économiques diamétralement opposés en moins de 20 ans.

Devenus les plus diplômés d’Europe de l’est, les jeunes roumains privilégient leur avenir professionnel. L’argent est souvent le nerf de la guerre et beaucoup choisissent leurs études en fonction de ce qu’elles pourront leur rapporter, un bon emploi étant un emploi bien payé. Difficile de les blâmer lorsque le salaire moyen est de 200 euros par mois, avec lequel ils doivent souvent aider les parents et grands-parents aux retraites misérables.
Main d’œuvre qualifiée, mobile et polyglotte les jeunes roumains sont peu touchés par le chômage. Par leurs compétences et leur motivation, ils séduisent les entreprises étrangères qui s’installent de plus en plus dans les centres urbains du pays. Les jeunes ruraux, de leur coté, rejettent les petits boulots agricoles pour tenter leur chance en ville ou à l’étranger, notamment en Italie et en Espagne.

Orthodoxe pour une grande majorité d’entre elle, la jeunesse pratique à 35% sa foi, pourcentage bien supérieur aux années de dictature ou toute religion était tolérée, mais réduite à la vie privée en raison du caractère délictueux de sa proclamation. Après 1989, l’idéologie fut de type religieux, y compris dans les programmes scolaires. Cependant, avoir la foi, qui est souvent une réponse à l’insécurité sociale, ne veut pas dire faire confiance en l’institution religieuse car nombre de prêtres ont soutenu l’ascension du communisme en Roumanie.

La génération des 20-30 ans roumaine voudrait oublier l’histoire, y compris son histoire tzigane, mais elle se retrouve confrontée quotidiennement dans son travail, ses études, à la corruption et aux mentalités communistes encore tenaces qui voudraient que tous les salaires soient les mêmes ou que le parcours existentiel soit défini d’avance. Une partie de cette jeunesse a choisi de plonger dans le tout libéral, convaincue que la Roumanie reste le meilleur pays pour les roumains car tout reste à y faire. La mondialisation marque les premières limites de ces choix, tandis que d’autres avancent doucement, choisissent des chemins plus originaux, plus marginaux, plus aléatoires aussi ou créent les nouvelles tendances de la société.

Emmanuel Blivet 2006.